eurydice billie ryans

« Papa, en quoi c'est fait la moutarde ? -Eh bah la moutarde c'est... du ketchup jaune »

Maman, pourquoi tout le monde dit que papa il est différent ? L’interrogation d’une enfant de cinq ans, qui ne comprends pas pourquoi les gens rient de son père. Mon père, ce héros, qui me lit toujours des histoires le soir avant de m’endormir, et ne se lasse jamais de jouer avec moi. Mon père, qui rit toujours, un peu étrangement, et qui travaille dans l’épicerie du coin de la rue : il range les rayons, et nettoie le sol. Ma mère soupire, passe une main sur son front, lasse. Elle n’a que vingt-six ans, mais elle parait tellement plus. Ses cheveux blonds sont ternes, et elle est exténuée, physiquement. Elle regrette son coup de folie, aujourd’hui. Avoir épousé cet homme différent, juste pour emmerder son père, parce qu’elle voulait prouver à la société que les gens ne devraient pas être laissés de côté s’ils sont différents. Elle le regrette ouais. Tous les jours, en rentrant à la maison, elle s’interroge, se demande si elle ne va pas dépasser le porche, et partir loin, m’abandonnant là, nous abandonnant là. Je n’le sais pas, mais ma mère déteste sa vie. Elle est loin, sa jeunesse, son esprit anticonformiste, il est mort et enterré. Aujourd’hui, elle veut une belle voiture une belle maison de beaux enfants et un mari… « normal ». Ton père est un attardé mental. Elle l’a sifflé, cette phrase, craché presque. Elle le déteste. Je la regarde avec de grands yeux, des yeux humides. Elle est méchante maman. Moi papa, je l’aime. Papa, c’est le meilleur papa du monde. Il vient toujours au parc avec moi, lui au moins, et personne ne raconte Petit Ours Brun comme lui. Je regarde ma mère, avec beaucoup de peine, et tourne les talons, pour aller trouver mon père dans le salon. Autiste, attardé mental, demeuré, taré. Autant de mots, des mots méchants, des mots pas beaux. J’aime pas ces mots. Moi j’aime les mots comme salopette, ou bicyclettes ! C’est des mots rigolos. … Les gens sont méchants. Mon papa, lui, il est gentil. Je passe mes mains autour de son cou, et le serre. Il me fait un câlin. Je t’aime papa. Moi aussi, moi aussi je t’aime Billie. Je n’suis qu’une enfant, une jeune enfant, comprenant que son père n’est pas comme les autres, ne sera jamais comme les autres. Une enfant. C’est bien d’être un enfant. Je monte dans les arbres, je joue avec les animaux, je cours après les papillons. Mais on ne peut pas toujours être des enfants. Nous, les femmes, on arrête de l’être quand on a nos premières règles. C’est ce que les professeurs disaient, je crois. Je n’écoutais pas trop en classe, je préférais rêvasser, les yeux par la fenêtre. Je me souviens, les premières que j’ai eu, c’était l’été. Je m’étais réveillée, et j’avais cru qu’on m’avait assassiné dans la nuit. J’ai crié très fort, appelé mon père en pleurant. Il ne savait pas quoi faire. Ma mère n’était pas là. Je devais avoir douze ans. Je crois. Je ne sais pas, je n’aime pas les dates. J’ai toujours été nulle en Histoire. J’ai toujours été mauvaise à l’école de toute façon. Pourtant, j’étais loin d’être stupide, c’est juste que ça ne m’intéressait pas. Je préférais rester dehors, à jouer avec les animaux, à profiter du soleil, à observer les gens. C’est peu de temps après que ma mère a décidé que s’en était assez, et est retournée en rampant vers son père, pour lui demander de financer l’entrée en institut de son époux. Mon père. L’expédiant loin de moi, loin de Los Angeles. Elle qui pensait retrouver une vie normale. Elle avait tout faux. A vingt ans, j’étais devenue grande, belle, blonde, le visage noble, tout en finesse. J’attirais les regards, et ça me faisait rire. Tout me faisait rire, de toute façon. Le rire d’un enfant, une blague, pas forcément drôle, une luciole qui passait sous mon nez. J’étais là, à m’amuser de tout, vivre ma vie frivolement. Et puis, je suis tombée enceinte. D’un garçon, rencontré à une fête. C’est tout naturellement que j’ai gardé l’enfant, ravie à l’idée de vivre une nouvelle expérience. C’était une fille. Lucy. Lucy in the sky with diamonds. Elle est née dans la douleur et la souffrance (la mienne). Ça m’a fait drôlement peur. Je n’étais pas habituée à avoir mal comme ça. Et durant les neuf mois précédent, ma vie fut un enfer. Triste, heureuse, heureuse, triste. Le problème, c’est que ce n’était pas lié qu’à la grossesse. Le vrai fond du problème, c’est que la fragilité mentale, c’est de famille. Ces sautes d’humeur, je les ai depuis toujours. Ces moments de joie extrême, puis de lassitude absolue. Les médecins appellent ça des troubles bipolaires. Comme les ours ! Lucy est morte quand elle avait sept mois. C’était ma première vraie nuit, nuit complète, et j’étais très contente en me levant le matin. J’avais trouvé son petit corps tout froid dans son lit. J’étais restée là, sourcils froncés. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne brillait plus. Pourquoi elle ne dégageait plus cette aura, ce halo de lumière, dont je la voyais toujours entourée. Ce fut ma rechute la plus sévère. J’étais au bord de la dépression, au bord du suicide. Et puis, les médicaments et l’aide de ma mère ont fait passer tout ça. Enfin, presque. Los Angeles commençait à m’étouffer. Les lumières baissaient, dans mon esprit malade. Les gens autour de moi, ceux dont je m’étais entourée, les gens lumineux, ils semblaient devenir ternes. J’étouffais, au milieu de l’obscurité. Et, dans un de ces moments d’euphorie, où tous les malades formulent des projets fous, irréalistes, j’avais plié bagage, achetant un billet de train, répondant à une petite annonce dans le journal, coincée entre une réclame pour des patins à roulette trop chouettes, et les meilleures salades de fruits de Los Angeles. Hello Wyoming.

Ton prénom ou surnom • Rwrar Ton âge • 18 printemps Que penses-tu du forum ? • Et bien... j'aime beaucoup -forcément- T'es arrivé là comment ? • par le biais de cette invention que l'on nome "internet" ? Crédit • tumblr Un dernier mot Jean-Pierre ? • J'ai envie de chocolat. Quelqu'un peut me donner du chocolat ?