La pointe des pieds, c'était très important de rester sur la pointe des pieds. Non pas que je faisais moins de bruit en marchant ainsi mais qu'est-ce qu'une escapade nocturne si on ne se déplace pas sur la pointe des pieds, guettant à chaque couloir de possibles surveillants ? Bah c'était pourri ! Et moi, je ne faisais que des trucs palpitants ! Donc pointe des pieds, chemise de nuit et cheveux en bataille, j'étais fin prête pour la mission du soir : braquage du garde-manger universitaire. Depuis une semaine, j'étais devenue une voleuse en série. J'avais une excuse cela dit, et une sacrée bonne en plus : l'instinct de survie, ça vous dit quelque chose ? Non parce que quand on vous pique votre pot de gelée de cranberries sous prétexte qu'on pourrait y cacher un petit couteau suisse, ça revient à vous pousser au vice, à vous dire "ma cocotte, c'est terminé ton goûter nocturne : meurs de faim et tais toi !". Alors forcément, pour contourner cette diète impossible, j'avais dû m'improviser ninja fruitier. Comme à l’accoutumé, je me glissa discrètement hors de ma chambre, me faufilant à travers la confrérie en rampant sous les tables et les canapés - cette étape était d'ailleurs très subtile puisqu'il fallait ensuite remettre les poussières à leur place pour ne pas éveiller les soupçons de la femme de ménage -, puis je passai par une fenêtre avant de longer les bâtiments des autres confréries. Ombre, il fallait rester dans l'ombre à la manière des caméléons, des ninjas ou de Dracula - oh ouais, je me visualisais bien avec une cape derrière moi, reniflant avec envie l'odeur de la nourriture ! J'étais Draculette, la buveuse de vitamine C ! Miaaam, des clémentines ! Bref, j'arrivai enfin à destination après avoir vaincu avec brio tous les obstacles à la manière d'Hercule et de ses douze travaux. Chouette, où était donc mon pégase, mon fidèle allié ? Ah oui, dans la poche de ma chemise de nuit ! Je tirai fièrement une petite clef - bah oui, je l'avais nommée Pégase ! -, reproduction exacte de celle qui ouvrait justement le garde-manger. Une fois à l'intérieur, je commençai aussitôt à piquer quelques fruits... Hop une pomme par ci, une poire par là. Je faisais mes provisions pour le week-end et j'allais arrêter de fouiner dans tous les frigos quand...« OH MY GOD ! J'y crois pas ! » Bonté divine, je venais de tomber sur un pot de glace à la vanille ! Mon pêché mignon ! Posant aussitôt ma montagne de fruits et de barres de céréales, je sautai sur le pot de glace.
Cuillère en main, pot entre les jambes, j'étais assise par terre, occupée à avaler le plus de glace possible en le moins de bouchés possibles. C'était passionnant comme expérience ! Et là... BAM ! La porte venait de claquer... Quelqu'un était entré. Une personne potentiellement dangereuse ! Un surveillant venu me confisquer mon bien précieux ? Un psychopathe venu me convaincre de me suicider pour me piquer ensuite son pot ? No way ! Je resserrai le pot contre ma poitrine : personne ne me le piquerait ! Aussitôt sur mes pieds, je restai cachée derrière une étagère, attendant le moment propice pour sauter sur l'intrus et l'étrangler avec une peau de banane. Une ombre venait de passer... Sautant derrière lui en ce qui me paraissait en silence, j'étais prête à lui envoyer une noix de coco sur la tête pour l'assommer quand je constatais que l'inconnu était en pyjama, fruits secs en main. J'étais rassurée : qui aime les fruits secs n'aime pas la glace à la vanille ! Si, si, j'avais entendu quelqu'un dire ça un jour ! Quoi que c'était peut-être déjà moi... Bref, j'avais soudainement envie de papoter, oubliant qu'il était minuit et que je tenais toujours une peau de banane d'une main et une noix de coco de l'autre. « Alors comme ça tu n'as pas peur ? » . C'est vrai que ces derniers temps, c'était rare de croiser d'autres étudiants qui osaient se balader seul en pleine nuit. Cette phrase d’accroche me semblait donc tout à fait adaptée.